Article publié par The Conversation, le 31 mai 2022.
Il n’est pas toujours obligatoire d’intégrer un Ehpad, même dans des situations de perte d’autonomie. Shutterstock
À l’heure actuelle, en France, plus de 700 000 personnes âgées très dépendantes sont logées en Ehpad. Avec le vieillissement de la population, le nombre de résidents de ces structures augmentera fortement dans les années à venir : en 2030, 35 % des Français auront plus de 65 ans, ce qui entraînera inéluctablement une hausse du taux de vieillissement avec dépendances. Les projections actuelles anticipent un manque de 100 000 places en Ehpad pour accueillir les personnes âgées concernées.
À ce problème structurel s’ajoute le fait que la grande majorité des personnes interrogées affirment préférer rester à leur domicile plutôt que d’entrer en Ehpad (83 % selon une enquête CSA de 2016), 85 % d’après l’IFOP en 2019). Cette réticence initiale s’est accrue avec la publication, en janvier dernier, du livre « Les Fossoyeurs », qui mis en lumière des « dysfonctionnements significatifs […] au détriment de la prise en charge des résidents » du groupe Orpea, premier du secteur mondial des Ehpad.
Cette prise de position citoyenne forte ne peut être ignorée, et il est donc nécessaire – si ce n’est urgent – de proposer de nouveaux modèles d’accueil et d’hébergement pour les personnes âgées dont les dépendances ne permettent plus le maintien à domicile.
Heureusement, il existe aujourd’hui différentes alternatives. Il est nécessaire de les faire connaître au grand public, afin que chacun soit capable d’anticiper ce passage entre domicile et institutionnalisation, pour soi-même ou pour ses proches. Voici donc un petit aperçu des solutions alternatives existantes, accompagné d’une estimation de leurs coûts et de leurs limites.
Rester chez soi
Le maintien à domicile est la configuration la plus plébiscitée. Pour pouvoir la mettre en oeuvre de la manière la plus sûre et la plus efficace possible, de nombreux services à la personne en ambulatoire existent :
- Services de soins infirmiers à domicile ;
- Équipes mobiles de gériatrie ;
- Hospitalisation à domicile ;
- Portage de repas ;
- etc
Néanmoins, malgré les aides de l’Etat (allocation personnalisée d’autonomie (APA) ou aide personnalisée au logement (APL)), le maintien à domicile peut s’avérer très coûteux. En fonction des dépendances à prendre en charge, il faut compter en moyenne 2 200 euros par mois (contre 2 500 euros en moyenne en Ehpad), et le reste à charge (protections, frais de voiturage en accueil de jours, etc.) est en moyenne de 1200 euros par mois.
En outre, le domicile privé se transforme rapidement en un domicile public, médicalisé et impersonnel, et bien souvent inadapté. Sans oublier que cette situation est souvent épuisante – aussi bien physiquement que mentalement – pour les proches aidants.
Par ailleurs, le maintien à domicile ne pallie pas à l’isolement et à la solitude des personnes âgées, comme l’a démontré en 2021 le rapport des Petits Frères des Pauvres.
Les résidences autonomies (ou anciens foyers logements)
Ces structures proposent des logements pour seniors, à mi-chemin entre le domicile et l’Ehpad. Constituées de chambres ou d’appartements non médicalisés, ces résidences proposent un accès aux équipements et services seulement facultatif.
Ces structures accueillent dans un logement des personnes âgées autonomes qui ne peuvent plus, ou n’ont plus l’envie de vivre chez elles, souvent à cause d’une baisse de revenus, de difficultés d’accès aux commerces ou d’un sentiment d’isolement. Ces personnes doivent être âgées d’au moins 60 ans et être valides et autonomes (GIR 5 ou 6 – groupe iso-ressources, qui correspond au niveau de perte d’autonomie d’une personne âgée).
Autre solution alternative pour les personnes encore autonomes : les hébergements mixtes résidence senior – Ehpad. En théorie, les résidences seniors s’adressent à un public autonome, mais certaines ont conçu des sites mixtes proposant à la fois un Ehpad et une résidence services senior, ce qui permet une institutionnalisation plus progressive. Les personnes âgées peuvent alors passer d’un milieu à l’autre, selon leur niveau de dépendance et leurs besoins, ce qui les protège du traumatisme fréquemment éprouvé lors d’une entrée en institution. Les habitants de la résidence seniors et les résidents de l’Ehpad partagent la plupart des espaces communs et prennent certains repas ensemble, mais les chambres se trouvent des ailes séparées.
La principale limite est financière, car ces résidences ne sont pas éligibles à l’aide sociale. Quand la perte d’autonomie s’installe, il existe alors d’autres solutions anticipatives.
L’habitat partagé
Cette solution repose sur le même concept fondamental que l’habitat participatif. Un groupe d’adultes âgés ou handicapés cohabitent dans un logement constitué d’espaces privatifs (chambre, appartement, salle de bains) et d’espaces collectifs (salle de séjour, salle à manger, jardin, etc.).
Ce mode d’habitat est destiné à des personnes handicapées ou dépendantes souhaitant vivre en collectivité. Chaque habitat partagé accompagné est créé pour accueillir un certain type de résidents ; la maison du Thil, à Beauvais, accueille par exemple les malades d’Alzheimer.
Néanmoins, cette alternative à l’Ehpad est limitée par le nombre réduit de structures à l’heure actuelle (elles représentent moins de 5 000 logements à l’échelle nationale).
Afin d’apporter une solution à cette faible représentation, des entrepreneurs développant l’habitat partagé et accompagné ont créé le collectif 150 000 en 2030, visant à pousser les pouvoirs publics à faciliter la création de 150 000 logements d’ici à 2030.
Les petites unités de vie
Ces structures présentent un intérêt particulier dans le fait qu’elles sont à taille humaine. Elles s’adressent aux personnes qui ne peuvent plus, ou ne souhaitent plus, rester seules à leur domicile. On en compte aujourd’hui environ un millier en France.
Le terme « Petite Unité de Vie » (PUV) regroupe toutes les petites structures d’hébergement alternatives à l’Ehpad ou à la maison de retraite : Maisons d’accueil et de résidence pour l’autonomie (MARPA), Centres d’activités naturelles tirées d’occupations utiles (CANTOU), etc.
Les PUV comptent en général moins de 25 places. Un logement privatif, comprenant une petite cuisine et une salle de bain, est prévu pour chaque résident. Un personnel présent 24 heures sur 24 assure la sécurité des personnes, généralement renforcée par un système de téléalarme. Les locaux sont adaptés aux personnes à mobilité réduite ; la circulation des fauteuils roulants y étant facilitée.
Les PUV visent à maintenir et renforcer l’autonomie des personnes âgées en les faisant participer à la vie en communauté. Les espaces communs permettent de tisser du lien social, essentiel au maintien de l’autonomie. Une maîtresse de maison apporte une cohésion à ce projet de vie.
Les soins sont réalisés à la demande, avec l’intervention de professionnels médicaux externes.
Les colocations intergénérationnelles
En encourageant le partage d’un toit entre un étudiant et une personne âgée, la loi Elan de 2018 a dégagé une alternative supplémentaire à l’Ehpad. Cette configuration permet de faire d’une pierre deux coups : tout en répondant à la crise du logement chez les jeunes, elle permet de rompre l’isolement des plus âgés.
Les cohabitations intergénérationnelles consistent à héberger différentes générations sous un même toit. Généralement, une ou des personnes âgées accueillent gratuitement (ou pour un loyer modéré) une autre personne plus jeune, qu’elle soit étudiante, salariée (ou autre), en contrepartie de divers services rendus. Il peut s’agir simplement d’une présence ou une écoute, ou encore d’une aide aux repas, aux courses ou aux petits travaux.
L’accueillant familial
Cette personne (seule ou couple) accueille à son domicile une personne âgée ou un adulte handicapé. Elle est rémunérée pour cette prestation, et doit avoir reçu un agrément délivré par les services départementaux, qui organisent le contrôle de l’accueillant et le suivi de la personne prise en charge.
L’accueil familial peut être temporaire, à temps partiel ou complet, voire permanent. Ce système s’adresse aux personnes âgées et aux adultes handicapés qui aspirent à vivre en famille, même si cette dernière n’est pas la leur. Les parties formalisent leur relation dans un contrat de gré à gré (contrat dont les stipulations sont librement négociées entre les parties).
La rémunération minimale du service est fixée par un barème départemental, dépendant du niveau de perte d’autonomie de la personne hébergée (en fonction de son GIR). En moyenne, l’hébergement revient à 1800 euros par mois, charges comprises . Pour les bénéficiaires de l’APA, de l’AAH (Allocation aux adultes handicapés) ou de l’APL, ce coût peut être réduit à 1000 euros.
Il s’agit d’une solution appréciée, surtout en milieu rural, mais qui ne conviendra pas à tout le monde, car vivre en famille implique aussi des contraintes. Enfin, il n’existe pas d’annuaire national, ni même départemental, des accueillants familiaux. Chaque territoire ayant sa propre organisation, la recherche peut être fastidieuse.
Pour conclure
Ainsi, si une écrasante majorité de personnes âgées, même dépendantes, entendent rester le plus longtemps possible à domicile, ce n’est malheureusement pas toujours possible. Il est donc nécessaire d’anticiper ce moment de bascule entre le domicile et l’entrée en EHPAD, ce qui ne peut se faire que si on est dûment informé, renseigné et encore en mesure d’exprimer et de faire des choix pour soi-même.
Pour conclure, des alternatives à l’Ehpad existent pour les personnes âgées, même dépendantes, souhaitant rester le plus longtemps possible à domicile ou entrer dans des structures de taille plus réduite. Ce sont des solutions précieuses pour respecter les droits fondamentaux de consentement, de liberté d’aller et venir et choix de vie de chacun. Bien que peu nombreuses et inégalement réparties sur le territoire français, elles sont en train de se développer et les connaître est important. Cela aide à se projeter sans appréhension vers une autre vie, aussi belle en humanité, même si la grande dépendance se fait jour.
Pour avoir accès à l’article The Conversation dans son intégralité, cliquez sur ce lien : Grand âge et dépendances : quelles alternatives à l’Ehpad ? (theconversation.com)